Cette chronique est la troisième de six écrites par le marin et auteur britannique Pete Goss.

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Pour ce troisième article consacrée à la grande croisière, Garcia m’a demandé d’explorer les thèmes suivants : “Qu’est-ce que l’aventure ?” ; 

Le danger est-il nécessaire pour ressentir du plaisir ?“ ; “Comment rendre l’aventure sûre ?“ ; “En quoi effectuer une grande croisière en couple ou en famille est un projet que chacun peut envisager ?“… Nous y voici.

Selon moi, la définition d’une aventure est celle d’un “voyage dont l’issue est inconnue“. Nous nous efforçons d’atteindre notre but, mais cela ne fonctionne pas toujours, ce qui en soi apporte un frisson d’excitation. Bien qu’il s’agisse d’une expérience éprouvante, l’aventure ne relève pas d’un test au sens propre du terme. Il n’y a pas à la considérer sous l’angle d’une réussite ou d’un échec puisque, en définitive, c’est le voyage en lui-même qui compte.

Tout ceci a été parfaitement exprimé par Theodore Roosevelt, dans le célèbre discours “Citizenship in the Republic” prononcé à Paris à la Sorbonne en 1910 et largement repris depuis – par John Fitzgerald Kennedy, entre autres :

“Le critique ne raconte absolument rien: tout ce qu’il fait c’est pointer du doigt l’homme fort quand il chute ou quand il se trompe en faisant quelque chose. Le vrai crédit va pourtant à celui qui se trouve dans l’arène, avec le visage sali de poussière, de sueur et de sang, luttant courageusement.

Le vrai crédit va vers celui qui commet des erreurs, qui se trompe mais qui, au fur et à mesure, réussit car il n’existe pas d’effort sans erreur. Il connaît le grand enthousiasme, la grande dévotion, et dépense son énergie sur ce qui vaut la peine. Celui-là est un homme vrai, qui dans la meilleure des hypothèses connaît la victoire et la conquête, et qui, dans la pire des hypothèses, chute. Or, même sa chute est grandiose car il a vécu avec courage et s’est élevé au-dessus des âmes mesquines qui n’ont jamais connu ni victoires ni défaites.”

L’une des joies de la vie, c’est que l’arène dont il est question est constituée par la connaissances, l’expérience et la passion individuelle. Je connais un homme qui essaie de faire pousser le plus gros melon du monde et il est un exemple de la définition de Kennedy. En effet, ma première traversée de la Manche avec mon père, alors que j’étais enfant, a été aussi excitante que de terminer le Vendée Globe bien des années plus tard. Je n’oublierai jamais le frisson enfantin de voir un pays étranger se dresser au-dessus de l’horizon du matin, m’apprenant l’existence d’une langue nouvelle et de ces incroyables croissants !

Nous avons tous besoin de tension dans la vie, au sens où la tension apporte la récompense, que ce soit par l’éducation, le défi physique, la création d’une entreprise ou le fait d’élever une famille. Cette tension peut provenir de la pratique d’un travail pénible, mais cela n’élève pas l’esprit alors qu’un soupçon de danger lui donne des ailes. Sinon, pourquoi aurions-nous des parcs d’attractions où l’on poursuit le frisson de la peur d’un manège à l’autre. Et même là, l’attrait se dissipe rapidement dès que pointe l’habitude.

Certains d’entre nous ont une plus grande tolérance au danger que d’autres, c’est pourquoi l’aventure devrait être évaluée en fonction de la tolérance et non de l’intensité. Ce qui ne crée qu’un frisson chez l’un peut susciter une véritable terreur chez un autre, qui serait tout aussi éprouvé par une activité apparemment plus banale. La récompense en sera tout aussi grande et c’est en fonction de l’effet produit que l’on doit choisir l’arène adéquate, de manière à y vivre une expérience positive.

Je n’ai jamais eu de carrière au sens construit du terme, mais plutôt une série d’idées folles. Ce n’est pas qu’on ne doive pas reproduire les choses, mais selon moi, la vie est si courte que j’aime la traiter comme un terrain de jeu, en sautant d’un projet à l’autre. J’aurais pu prendre le départ de plusieurs éditions du Vendée Globe et viser une victoire dans cette épreuve, mais c’eût été pour moi le signe d’un manque d’imagination et d’ouverture d’esprit. Le Vendée Globe était comme une envie incompressible, qui a été comblée à ma première tentative. C’est donc un projet dont je reconnaîtrai toujours combien il m’a apporté, et combien il m’a libéré, me permettant d’aborder de nouveaux rivages.

Je me suis vite rendu compte à quel point investir une nouvelle arène fait travailler les muscles du corps et de l’esprit. La trajectoire nouvelle et enrichissante issue du Vendée Globe m’a propulsé dans l’orbite de nouveaux groupes de personnes passionnées. Le genre de personnes qui donnent de la texture, de la vivacité et de la couleur à la vie. Mon amour de la mer a fait que la plupart de mes projets ont été liés à la voile, mais j’ai aussi fait des incursions dans d’autres domaines, avec une expédition en kayak autour de la Tasmanie, une autre jusqu’au pôle Nord que j’ai atteint à pied, ou encore la reconstitution historique d’un voilier de travail du XIXe siècle que j’ai mené d’Angleterre en Australie comme les colons de l’époque et, à mes débuts, les commandos de la Royal Marine.

Pour les non-initiés, cette liste d’aventures est marquée par le signe du danger, mais la vie elle-même est dangereuse. Pendant la guerre du Golfe, les accidents de la route ont fait plus de victimes en Europe qu’il n’y en a eu sur le front. Le risque, souvent ignoré comme un bruit de fond dans notre vie quotidienne, est imprévisible, toujours présent et recouvre de nombreux visages. Choisir de s’exposer à un danger évident représente une toute autre affaire, car il faut le traiter et le gérer. Ceux qui ont fait face aux menaces inconnues d’un ennemi meurtrier pendant cette même guerre du Golfe ont fait preuve d’un grand courage. Le risque a été atténué par une technologie, un entraînement, un travail d’équipe et un leadership supérieurs. Les militaires sont exemplaires en matière de gestion des risques et, comme je le dis toujours, “je ne prends pas de risques, je les gère”. Une approche très différente de la perception commune selon laquelle les aventuriers choisissent de mettre leur vie en danger dans une quête irréfléchie de sensations fortes.

En même temps, il faut reconnaître que le danger joue pour une bonne part dans cet attrait, comme les papillons de nuit sont attirés par la flamme. La question est de savoir jusqu’à quelle distance vous pouvez voler en construisant un bouclier de protection. Pour cela, il faut d’abord décomposer le danger en isolant ses éléments constitutifs, puis aborder individuellement chacune des parties du défi global en d’une équipe d’experts compétents en la matière. En tant que membre de l’équipe de développement de Musto, j’ai porté le premier prototype révolutionnaire de la combinaison HPX Ocean dans l’océan austral. J’ai également servi de cobaye dans le cadre du tout premier programme d’étude des phénomènes de privation de sommeil, organisé par la NASA. Le fait de connaître mon rythme de sommeil personnel a augmenté ma compétitivité et réduit les risques. Benetton Formula 1 m’a intégré dans son programme d’entraînement physique, et je dis bien intégré. Toutes ces expériences, et bien d’autres encore, ont ensuite été mises à profit en conditions réelles lors de courses transatlantiques, permettant d’aplanir les difficultés avant le départ. 

Tous mes projets les plus extrêmes ont été accompagnés de péripéties qui auraient pu faire tourner l’ensemble au désastre. Une quille cassée, une jambe fracturée, un mât brisé. Un sauvetage majeur dans des conditions d’ouragan, une auto-opération sur mon bras, un coup de froid, un retournement complet de mon bateau, sans compter de nombreuses pannes mécaniques et électroniques. Toutes ces situations ont pu être gérées grâce à une préparation minutieuse, une formation et le soutien d’une excellente équipe. Malgré tout, la leçon la plus importante à retenir est que la situation la plus proche de la perte d’un bateau que j’ai vécue était juste à l’entrée de Plymouth. J’avais baissé ma garde et je me suis fait surprendre. Ne relâchez jamais vos exercices, entraînements et vos routines car ils sont l’assurance intangible qui atténue les effets d’une mer cruelle. La complaisance tue.

L’aventure n’a pas besoin d’un budget énorme, en ceci que la pureté apporte de bonnes choses. Je fais ici référence à une expédition au pôle Nord avec un groupe d’amateurs que nous avions entraînés pendant six mois. À notre arrivée, nous avons passé une nuit froide et épuisante à attendre un hélicoptère russe. Une pulsation lointaine a mis nos membres raidis en action, nous avons monté la tente et nous nous sommes agenouillés dans le blanc tourbillonnant du courant d’air. Alors que les moteurs s’arrêtaient, la porte s’ouvrait pour qu’un riche Américain puisse amadouer son adolescent rebelle et le faire descendre sur la glace le temps d’ ne photo. Le jour suivant, grâce à une vaste campagne de presse, ce garçon a été salué comme le plus jeune Américain ayant atteint le Pôle Nord. De retour dans la base scientifique chauffée, il rayonnait de sa célébrité au travers du téléphone satellite. Il n’aura retiré aucune victoire ni aucun enseignement de cela : j’ai donc observé avec sympathie ce pauvre garçon se vider de sa substance lorsqu’il a commencé à réaliser que, pour ceux d’entre nous qui savaient ne devoir qu’à eux-mêmes une honnête réussite, il n’était qu’un imposteur.

Rien n’est plus éloigné de cette expérience que de tomber sur Lynne, une enseignante qui n’a jamais pris la mer, et Matt, un vétéran. Tous deux, jeunes, l’œil vif et sachant savourer les erreurs, les leçons et les joies d’une vie nouvelle et stimulante en mer. Ils avaient un vieux bateau que lui avait réaménagé à partir de rien avec des équipements modernes. La plupart de leur nourriture provenait de la cueillette et je n’oublierai jamais avoir vu Lynne lutter à la rame pour se maintenir sur un récif dans des rafales de trente nœuds. De temps en temps, Matt surgissait de l’eau avec un cri et un homard à la main. Ils sont restés de bons amis qui continuent à élargir leurs horizons au fur et à mesure que leurs compétences en matière de navigation se développent. Vivant avec une poignée de dollars par semaine, leur expérience est plus riche que la fortune dépensée pour l’incursion de ce garçon au pôle Nord. Il n’y a pas de corrélation entre l’argent dépensé et le gain généré par l’aventure.

Après que nos enfants eurent quitté la maison, Tracey et moi avons pu choisir une nouvelle arène, une arène qui correspondait à nos capacités et à nos aspirations. Tracey avait peu d’expérience à son actif lorsque nous sommes partis à la voile pour les Caraïbes. On lui demandait souvent si elle avait peur, elle répondait qu’elle ne savait pas de quoi avoir peur et que donc non, elle n’avait pas peur. Elle avait confiance en moi, en notre bateau et en l’expérience qui lui permettrait de dissiper ses nouvelles craintes au fur et à mesure que ses connaissances se développeraient. L’une de ses peurs les plus profondes, due à un accident d’enfance, est celle de l’eau. Elle ne peut pas aller au-delà de la hauteur des genoux et donc, avec une bonne annexe et un bathyscaphe, nous avons pu profiter de la vie sous-marine en la remorquant, tout en faisant de la plongée libre. Il y a toujours une voie.

Les gens chez Garcia me demandent si le danger est nécessaire pour ressentir du plaisir. Je suppose qu’il pourrait être considéré comme l’une des nombreuses composantes du plaisir, mais l’excitation est le compagnon naturel du danger. En deux ans et demi de croisière, nous avons bien sûr connu des moments difficiles, mais un bateau exceptionnel a permis de les maintenir dans notre zone de confort. Si je regarde en arrière en utilisant le mot plaisir comme filtre, cela me fait penser à des terres lointaines, à des couchers de soleil glorieux, à une navigation joyeuse et à de nouvelles amitiés. Certainement pas le danger, car ce n’est pas quelque chose après quoi nous courons.

We love travel but dislike impersonal hotels and being forced to skate across touristy surfaces by the straight jacket of limited time. Cruisers can go at a snails pace for they have their home with them. If we go back to my definition of an adventure being a journey with an unknown outcome then long term cruising could be construed as the ultimate adventure. We set off with aspirations not plans and so the voyage remains forever unpredictable, each encounter opening the door to further unknowns that stimulate all the senses. Its life at its best and if there was ever a poem that captures cruising for us it would be ‘Sea Fever’ by John Masefield;

Nous aimons voyager, mais nous n’aimons pas les hôtels impersonnels et le fait d’être obligés de parcourir à grand pas les endroits touristiques par la faute d’un manque de temps. Les navigateurs en grande csoisière peuvent aller à un rythme d’escargot car ils ont leur maison avec eux. Si nous revenons à ma définition de l’aventure, qui est un voyage dont l’issue est inconnue, alors la croisière à long terme peut être considérée comme l’aventure ultime. Nous partons avec des aspirations et non des plans : le voyage reste donc toujours imprévisible, chaque rencontre ouvrant la porte à d’autres inconnues qui stimulent tous les sens. C’est la vie dans ce qu’elle a de meilleur, et s’il y avait un poème qui résume la croisière pour nous, ce serait “Sea Fever” de John Masefield (1902)

Je dois retourner sur les mers, vers la mer solitaire et le ciel,
Et tout ce que je demande, c’est un grand bateau et une étoile pour le guider,
Et l’embardée de la roue et le chant du vent et la voile blanche qui claque,
Et une brume grise sur la mer et une aube grise qui point.

Je dois retourner sur les mers, car l’appel de la marée montante
Est un appel sauvage et un appel limpide qu’on ne peut refuser ;
Et tout ce que je demande, c’est un jour de bon vent où les nuages blancs filent,
où cinglent les embruns et où gicle l’écume, et les mouettes qui crient.

Je dois retourner sur les mers, vers la vie vagabonde et bohème,
vers la route des mouettes et la route des baleines, où le vent coupe comme un couteau ;
Et tout ce que je demande, c’est le récit joyeux d’un gai compagnon de route,
Et un sommeil tranquille et de doux rêves quand tout cela aura pris fin.