RETOUR AU PARADIS BLANC : BALTHAZAR EN ANTARCTIQUE (2/2)

Expériences
2.6.2025
Après plusieurs semaines d’immersion dans l’univers brut et fragile de l’Antarctique, Balthazar poursuit sa route. De mouillages spectaculaires en navigations millimétrées, l’équipage explore un peu plus encore la péninsule, entre surprises, rencontres et moments suspendus. Ce second épisode clôt un voyage aussi exigeant que fascinant.

Vernadsky, Persévérance et un mouillage bien entouré

La station ukrainienne Vernadsky mérite une mention particulière ; elle est située sur l’ile Galindez (65°15’S) dans l’archipel des iles Argentines. J’avais prévenu de notre passage. En arrivant dans l’archipel nous croisons la Persévérance, le robuste voilier de service du fantastique projet Polar Pod de Jean Louis Etienne.

Nous nous mettons à l’abri dans une petite crique à couple du Boulard, le voilier-charter de l’ami Jean Monzo qui parcourt la zone depuis plus de 30 ans et la connait comme sa poche.

Dans la nuit arrivera aussi le voilier Rantje (privé, allemand), avec qui nous avions lié connaissance à Puerto Toro. Beaucoup de monde ici direz-vous ! Il y a plusieurs raisons à cela. En plus de l’abri exceptionnel du site c’est aussi une limite sud, accessible sans trop de difficultés… Pour aller plus loin, il faut disposer de beaucoup plus de temps et les conditions de navigation deviennent plus compliquées.

 

Mais par-dessus tout ce qui nous attire ici, c’est l’exceptionnel accueil chaleureux qui nous est réservé par les hôtes de la station.  

Après le dîner, les 2 équipages réunis sont conviés à une visite de la station (bureaux, laboratoires, équipements, ...), on nous décrit les programmes poursuivis. Tout est moderne, parfaitement tenu, c’est l’une des rares bases à rester occupée en hiver.

Le commandant de la base et des membres de son équipe nous reçoivent ensuite parmi eux, dans leur grand et confortable salon (Faraday bar) : parties de billard, albums photos remontant à plus de 30 ans, échanges, discussions sans fin sur des sujets dont l’improbabilité s’accroît avec l’heure… le tout est alimenté par de multiples boissons et petites douceurs ; on avait bien apporté quelques munitions, mais tous les suffrages sont allés à la délicieuse vodka produite sur la base. Tard dans la nuit, dotés de suffisamment de calories pour braver le froid, nous repartons vers nos bateaux.

 

Nous sommes subjugués par tant de gentillesse et de fraternité. Leur pays est en guerre, ils sont bloqués ici pour de longs mois à plus de 15 000 km de chez eux, se font forcément du souci tous les jours pour leurs proches et nous reçoivent ici avec tant de chaleur et d’amitié! MERCI. Tous nos vœux pour la paix.

Escale à Wordie House et navigation au nord de la péninsule

Le lendemain nous visitons, à proximité, Wordie House, une ancienne petite station anglaise des temps héroïques, ouverte de 1935 à 1954. Elle est régulièrement entretenue, mais entièrement conservée « dans son jus » ; nous mesurons les conditions sommaires dans lesquelles vivaient les pionniers, coupés du monde !

En remontant vers le Nord, nous butons sur un pack infranchissable à l’entrée du chenal Lemaire. Nous passons à l’ouest de l’île Booth puis nous nous déroutons jusqu’au Cap Renard, la spectaculaire entrée nord du chenal…même constat pour la glace, nous avons bien fait de ne pas insister.

Encerclés par la glace à Paradise Bay

Après une brève escale à Port Lockroy, afin de déposer du courrier, nous voilà en route vers la très belle Paradise Bay. Notre navigation est ralentie par de très nombreux glaçons et de petits icebergs. C’est superbe de progresser avec autant de glace autour de nous. Au sud de l’ile Bruce, le passage est totalement bouché … nous faisons ½ tour pour essayer de passer plus loin.

Nous arrivons tardivement dans la petite crique juste au sud de la station argentine Almirante Brown. Les croquis sont clairs : nous contournons le haut fond de l’entrée et mouillons par 6m de fond avec une amarre sur l’arrière. Superbe endroit très calme entouré de montagnes et de leurs glaciers. Dans la nuit, BalthazaR roule fortement bord sur bord pendant un long moment : une falaise de glace a dû s’effondrer pas loin. Surprise au petit matin : nous sommes entourés à perte de vue d’un pack très dense de growlers impressionnants et la mer a gelé. Rien ne bouge, aucun courant ne semble vouloir les emporter vers le large.

Nous nous dégageons avec une extrême prudence ; tout est si dense que le moindre glaçon peut briser une pale de l’hélice, ce qui nous bloquerait ici. Avec la perche à glaçons nous repoussons les plus gros blocs, puis quelques secondes de moteur nous font gagner 5 à 6 mètres, et ainsi de suite pendant plus d’une heure pour parcourir 500m et retrouver quelques étendues d’eau libre.

Contournement de l’île Cuverville et mouillage à Entreprise Bay

Au passage le radio de la station Brown nous offre de nous amarrer à leur ponton, mais sans descendre à terre. A petite vitesse nous contournons de très près l’ile Cuverville avec ses multitudes de manchots, un magnifique cimetière d’icebergs et quelques têtes de roche non cartographiées.

Le soir même nous arrivons à Entreprise Bay, là où git échouée et déformée l'épave du navire baleinier norvégien Governoren qui a brûlé en janvier 1915 avec, à son bord, l'huile de près de 400 baleines ! C'est un très bon point d'amarrage prisé par les voiliers-charter, une source d'eau fraiche coule à proximité en été.

C'est avec plaisir que nous voyons arriver le Boulard, une nouvelle occasion pour les 2 équipages de fêter ensemble leur bonheur d'être ici, au Paradis. Balthazar jouit d'une bonne réputation pour sa cuisine, mais la cave de Jean est imbattable et il est le roi du Pisco Sour : la mémoire de Sir Ernst a également été saluée sans modération.

Epave du navire baleinier norvégien Governoren

Le lendemain, par un temps maussade nous partons découvrir alentour de nombreux vestiges de l’activité baleinière étonnamment bien conservés : de petites barges de transport d’eau douce, une réserve de fûts en bois, jamais utilisés, destinés au transport de l’huile de baleine, des têtes de harpons impressionnantes, des chaines d’amarrage.

Au début de notre 3e semaine sur place je commence à m’intéresser aux prévisions météo pour notre retour. Une petite fenêtre apparaît rapidement nous laissant espérer un passage du Cap Horn dans 5 à 6 jours, entre 2 dépressions. Nous mettons les voiles et nous rapprochons de Melchior pour gagner vers l’ouest et améliorer notre angle au vent dans le Drake. Nous partons en même temps que 2 voiliers-charter (le Boulard et le ketch néerlandais Tecla), c’est plutôt encourageant, ils connaissent bien le coin.

Le ketch néerlandais Tecla

Le début du chemin de retour est idéal ; une belle lune éclaire les icebergs et les acrobaties d’un groupe de baleines… mais progressivement nous voyons que la fenêtre va se refermer, les 2 dépressions se rapprochent et vont certainement fusionner ; (quelques jours plus tard, Charles Caudrelier qui mène l’Arkéa Ultim Challenge, va ralentir sa course pour éviter le monstre qui en a résulté).

Détour par l’île Déception, entre volcans et vents catabatiques

Après 1 jour de mer nous allons donc faire demi-tour : la décision est prise d’aller visiter l’île Déception, une île des Shetlands du Sud à plus de 130 M à l’Est. Pendant les quelques heures de nuit, entourés de plusieurs champs de glaçons secoués par la houle, on se met à la cape ; on va ainsi dériver sans visibilité mais sans heurts, à la même vitesse qu’eux.

Déception est une île atypique, un volcan non éteint dont on pénètre le cratère (5M de diamètre) via un étroit passage : il y a peu de glace et de neige, le paysage est dominé par la roche et des amas de graviers, la couleur dominante est un brun-rouille foncé, triste dans le mauvais temps qui arrivera bientôt.

Sur tribord en entrant on part observer les ruines d’une importante base baleinière puis les restes d’une station scientifique anglaise.

Le vent, dans le nez, est plus fort qu’à l’extérieur et lève un mauvais clapot… Dans ces conditions la seule option est d’aller mouiller à l’autre bout du cratère dans la petite crique Stancomb à côté de Telefon Bay, les croquis indiquent clairement comment s’y amarrer. On mouille par 8 mètres de fond et on a juste le temps de s’accrocher à une petite roche en haut de la plage lorsque la crique est balayée par une violente rafale de travers : nous sommes déportés vers les hauts fonds et la petite roche a décidé de nous suivre.

Bienvenue ici ! En fait, aucun des croquis ne signale les vents catabatiques qui vont nous accompagner ici pendant tout notre séjour.

On recommence la manœuvre et, après plusieurs heures d’effort, nous finirons en sécurité avec 5 amarres portées à terre et 3 ancres.

Déception ne correspond pas vraiment à l'image classique de l'Antarctique ; en contrepartie on peut y marcher pendant des heures, accéder facilement aux sommets, aller voir les manchots et otaries qui peuplent les plages de l'extérieur de l'île. 

La station scientifique espagnole Gabriel de Castille nous a réservé un accueil chaleureux à l'heure du goûter. Beaucoup de paquebots viennent ici pour une courte escale ; de notre crique on ne les voit pas. Le 3 mâts Europa (58m) vient passer une nuit à proximité. 

Le 3 mâts Europa

Fenêtre météo et départ vers Puerto Williams

Après 4 jours de mauvaise météo, un nouveau créneau nous permet d’engager notre retour vers Puerto Williams. Déception, située très à l’Est, n’est pas le meilleur point de départ avec des régimes de vents de secteur Ouest : pendant les 2 premiers jours, par petit temps et appuyés au moteur, nous pointons le plus possible vers l’Ouest. Puis un vent soutenu rentre d’ONO à 30/40 nœuds, le temps est aux éclaircies et la mer est belle, bien formée avec de jolies crêtes déferlantes.

BalthazaR, au petit largue, taille sa route dans la plume, sous 3 ris et trinquette ou tourmentin.

Derniers milles, Cap Horn et retour du Paradis blanc

A peine le Cap Horn passé le grand beau temps revient d’un coup. Soulagement.

 

L’équipage se congratule, on revient du Paradis blanc !

Jan VAN OPSTAL
Voilier BalthazaR

Jan VAN OPSTAL
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